Alors qu'elle s'oriente vers une carrière dans la finance, Anne Kerveillant se dirige finalement vers l'entrepreneuriat. À l'âge de 22 ans, elle fonde sa première entreprise dédiée aux jeux de société. En 2019, elle se lance dans l'aventure My Lubie, entreprise axée sur le bien-être sexuel. Portrait.
Ne se fermer aucune porte. Voilà ce qui pousse Anne Kerveillant à s'orienter, après le lycée, vers une prépa avant d'intégrer une école de commerce. "Je voulais suivre la voie de mon père mais aussi de mes frères et sœurs. J'ai intégré l'EM Lyon en option finances", se rappelle-t-elle. Mais rapidement, la jeune femme de 22 ans se rend compte que cette carrière professionnelle n'est pas faite pour elle. "En 2017, je fais mon stage chez EY. C'était une entreprise prestigieuse. Mais je me suis aperçue que les missions n'avaient pas de sens pour moi", confie-t-elle, avant d'ajouter :
La hiérarchie était très pesante. J'aime être dans l'opérationnel et quand cela va vite.
Face à ce constat, l'étudiante bifurque et intègre le parcours "Entrepreneuriat" de l'EM Lyon. En parallèle, associée à un camarade de promotion, elle crée sa première entreprise dédiée aux jeux de société. Ensemble, ils lancent un jeu de cartes, dans la même veine que Blanc Manger Coco. "L'entrepreneuriat ne me faisait pas peur et je n'avais pas du tout honte de l'échec potentiel", confie-t-elle. Les deux entrepreneurs rencontrent le succès. En 14 mois d'activité, leur société génère 200 000 euros de chiffre d'affaires. "Pour une entreprise étudiante, c'était un beau succès. Cela nous a clairement permis d'apprendre le métier d'entrepreneur", insiste la chef d'entreprise.
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Révolutionner un marché
Une première aventure entrepreneuriale qui lui fera prendre conscience de l'importance de choisir le bon associé. "La grande difficulté était mon entente avec mon associé. Nous n'étions pas alignés sur notre façon de travailler, ni sur l'ambition à donner au projet. On a décidé de se séparer en 2020", insiste Anne Kerveillant. L'entrepreneure poursuit le développement de sa société mais cherche toujours sa véritable orientation professionnelle. "Cette expérience a clairement donné du sens à l'école de commerce. Mais je ne savais pas vraiment vers quoi me tourner", admet-elle. Elle effectue un nouveau stage dans une start-up de la tech puis intègre une autre entreprise du secteur, en CDI. "Je me rends compte, là encore, que ce marché n'est pas fait pour moi, confie-t-elle. Et l'entrepreneure ajoute :
Toutefois, cette expérience a été très enrichissante. Les fondateurs m'ont montré comment manager et construire une équipe.
L'idée de créer une autre entreprise fait alors son bout de chemin. Mais Anne Kerveillant, toujours en quête de sens dans ses projets, était à la recherche du bon secteur d'activité. "Je voulais me confronter à la difficulté. J'avais vraiment envie de me lancer sur un marché pour le révolutionner", insiste-t-elle.
Dépoussiérer un marché
En 2019, la jeune femme s'intéresse alors aux produits dédiés au bien-être sexuel. "Notamment au lubrifiant. À l'époque, j'habitais Pigalle et j'ai fait le constat qu'aucun produit ne me parlait, notamment en termes de communication et de composition. Surtout, je me suis aperçue que l'on ressentait souvent de la honte à en acheter alors que le sexe n'est plus tabou aujourd'hui", affirme l'entrepreneure, avant de préciser :
Pour autant, on ne prend pas forcément au sérieux ce genre de business que l'on catégorise rapidement comme pornographique.
Forte de ce constat, Anne Kerveillant peaufine son idée et s'oriente vers l'élaboration d'un lubrifiant naturel. Le but de l'entrepreneure est clair : lever toutes les idées reçues sur ce produit et faire évoluer la perception du grand public. "C'était un beau défi pour moi. C'est avec cette envie que My Lubie est né. Je voulais vraiment faire évoluer la vision érotique du sexe vers une perception davantage liée au bien-être", souligne l'entrepreneure. Et Anne Kerveillant précise :
Je voulais dépoussiérer un marché en créant une marque proche des consommateurs. Ne partir de rien m'a vraiment plu.
Elle déniche un laboratoire spécialisé en soins intimes et travaille sur une première formulation de lubrifiant à base d'eau dans un premier temps.
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Campagne de crowdfunding
Très vite, elle fait tester des échantillons à des amis et peaufine le produit pour lancer la commercialisation en juin 2020. "On se lance alors vers une campagne Ulule. Je savais que ça allait marcher et qu'on allait atteindre notre objectif de 100 précommandes", confie Anne Kerveillant. L'entrepreneure avait bâti, depuis quelques mois, une solide communauté sur Instagram et les premiers retours étaient positifs. "Il faut avoir en tête que je ne peux pas faire de publicité sur Instagram ou Facebook, car on est toujours catégorisé comme pornographique", souligne l'entrepreneure, avant d'ajouter :
J'ai donc construit ma communication en tant que consommatrice, en insistant sur le contenu. J'ai beaucoup travaillé à l'instinct.
En 30 jours, My Lubie enregistre 1 700 précommandes. Un succès auquel ne s'attendait pas la jeune femme. "C'était une très bonne stratégie de commencer par le lubrifiant, car on voulait casser les mythes encore présents autour de ce produit. Mais on ne s'attendait pas à un tel plébiscite. Cela nous a permis de créer une base d'ambassadeurs avec lesquels nous co-construisons les produits aujourd'hui", explique Anne Kerveillant.
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Lever les freins
Grâce à cette campagne Ulule, My Lubie parvient à lever 30 000 euros, ce qui financera la première production et la mise en place d'un site Web. Mais rapidement, l'entrepreneure souhaite proposer d'autres produits et comprend qu'elle devra récolter plus d'argent pour financer ses différents projets. "J'ai réinvesti des fonds personnels, mais ce n'était pas suffisant. J'ai essayé de solliciter les banques. Mais rien que le fait d'ouvrir un compte en banque était compliqué, affirme Anne Kerveillant. Et l'entrepreneure souligne :
La réponse était toujours la même : 'on ne fait pas de porno'. Il y a une grande éducation à faire. Finalement, je suis parvenue à obtenir un emprunt mais c'était laborieux.
Pour l'aider à structurer son entreprise, Anne Kerveillant part aussi à la recherche d'un associé et se rapproche d'un ancien camarade d'école de commerce. "Il me fallait quelqu'un pour endosser le rôle de directeur général. Ce n'était pas mon truc. Je devais trouver une personne qui puisse optimiser les finances et les opérations. De mon côté, je voulais vraiment rester dans le créatif. Pierre [Lagache] avait vraiment le profil que je recherchais", indique-t-elle.
Mais pour éviter les erreurs commises au début de son parcours d'entrepreneure, Anne Kerveillant met tout de suite sur la table les questions délicates. "On s'est confronté aux questions difficiles comme le sujets des horaires, du rapport à l'argent ou encore de l'ambition que l'on a pour l'entreprise… Cela nous a permis de bâtir une association saine", affirme la chef d'entreprise.
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Les pharmacies, cœur de la stratégie
Pour parvenir à financer leur développement et la conception de nouveaux produits, Anne Kerveillant et son nouvel associé partent donc à la recherche de financement. Mais même si les investisseurs reconnaissent le potentiel du marché, tous restent frileux d'investir dans l'entreprise. L'entrepreneure se souvient :
Toutes les personnes que nous avons rencontrées reconnaissaient que le marché était là. Mais on a vraiment eu des difficultés à lever des fonds.
Finalement, les deux associés parviennent à convaincre 5 business angels de les suivre et réunissent 200 000 euros. Avec leurs fonds personnels et le prêt bancaire finalement obtenu, les deux entrepreneurs parviennent à récolter 300 000 euros Un montant qui permet à My Lubie d'élargir sa gamme de produits et de recruter une équipe pour amorcer l'implantation dans les magasins et pharmacies. "Nous voulions convaincre les pharmaciens de référencer nos produits, car c'est là que l'on trouve les concurrents et c'est un gros gage de confiance, insiste Anne Karvillant. À date, nous sommes présents dans 300 pharmacies aujourd'hui. Et on est surtout très fiers d'avoir réussi à faire référencer nos accessoires sexuels en pharmacie. Cela met en avant l'aspect thérapeutique que nous prônons avec My Lubie."
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Bâtir une communauté
Après trois ans d'existence, My Lubie compte une douzaine de produits : lubrifiants, accessoires vibrants, préservatifs, huiles de massage, bougies ou encore infusion d'herbes aphrodisiaques. "On est une entreprise de bien-être", estime la chef d'entreprise. Pour autant, malgré cette gamme de produits étendue, l'entrepreneure reste conscience des freins qui persistent, notamment en matière de communication : "Nous n'avons pas les même armes que les autres entreprises évoluant sur le marché du bien-être, comme Les Miraculeux ou Respire par exemple. Il y a des vraies réticences de la part des régies publicitaires, même si les choses tendent à évoluer, affirme Anne Kerveillant.
Notre compte Instagram est menacé de fermeture toutes les semaines. D'où la nécessité d'être vigilant sur notre communication et notre volonté de faire de l'éducation sexuelle, via notre blog mais aussi nos réseaux sociaux.
Aujourd'hui, My Lubie réunit une communauté de 160 000 personnes et affiche un chiffre d'affaires de 1 million d'euros en 2022. "Nous avons multiplié par quatre nos performances en un an", souligne l'entrepreneure. Outre les pharmacies, les produits sont référencés dans des boutiques spécialisées, comme Passage du désir. La marque est également présente dans plusieurs Monoprix et dans l'unique Monop' Beauty, situé à Paris. "Nous ne voulons pas aller sur tous les canaux car cela détruit l'image de marque. À force d'être partout, on n'est finalement nulle part. Nous cherchons avant tout la cohérence", confie Anne Kerveillant.
Résilience et sacrifice
À terme, My Lubie ne se ferme pas la porte de bâtir son propre réseau de magasins. Si le projet est loin d'être acté, l'entrepreneure l'assure : "On y réfléchit. Quand j'ai fondé My Lubie, j'imaginais un développement via des boutiques. J'estime que le retail n'est pas mort, au contraire. J'ai déjà tout en tête. J'imagine un lieu hyper hybride et dédié au bien-être." De son parcours d'entrepreneure, Anne Kerveillant retient une chose essentielle : "Il faut être résilient et faire des sacrifices", confie-t-elle. Aux futurs porteurs de projet, la chef d'entreprise conseille toutefois de ne pas confondre résilience et acharnement. "Être armé et entouré pour gagner en confiance est primordial. Mais vouloir continuer à tout prix quand il n'y plus rien à faire, c'est de l'acharnement et ce n'est pas bon pour l'entrepreneur, insiste-t-elle avant d'ajouter :
Ayez en tête qu'une idée ne vaut rien, confrontez-là à la réalité !
Aussi, l'entrepreneure conseille d'avoir une bonne hygiène de vie et de prendre du recul. "Faites du sport, prenez du temps pour vous et partez en vacances ! Quand on a la tête dans le guidon, on n'arrive pas à prendre des décisions", conclut-t-elle.