Depuis 2018, le secteur lié au cannabidiol attire les convoitises. Les entrepreneurs sont de plus en plus nombreux à investir sur ce marché. Mais les opportunités sont-elles viables ?
L'engouement pour le CBD ne se dément pas. Et peut rappeler celui des cigarettes électroniques il y a quelques années. Depuis deux ans, le marché explose et les porteurs de projet sont de plus en plus nombreux à investir. Pour autant, tout n'est pas rose pour le secteur. "Le développement a été clairement compliqué, avec de multiples rebondissements depuis 2018", admet Aurélien Delecroix, président du Syndicat Professionnel du Chanvre. Dernier exemple en date : le 30 décembre 2021, le gouvernement a publié un arrêté interdisant à la vente la fleur de CBD. Un coup de massue à l'époque pour l'ensemble des acteurs, dont une majorité s'était spécialisé uniquement sur ce pan de marché. "20 % du CA d'une boutique repose en moyenne sur les fleurs et la résine de CBD. La France considère qu'il s'agit d'un produit stupéfiant, indique Jean-François Calvo, consultant au sein du cabinet Progressium. Or ce n'est pas une substance psychotrope, nocive et addictive, définissant un produit stupéfiant. Rappelons-le, le CBD affiche une très faible teneur en THC, qui ne doit pas dépasser 0,2 %." Les professionnels du secteur ont contesté le fameux arrêté et ont eu gain de cause. Le Conseil d'Etat ayant, quelques jours plus tard, suspendu l'arrêté. "Pour autant, une décision définitive, sur le fond, devrait être rendue d'ici la fin de l'année", explique Aurélien Delecroix.
Le Chanvrier Français : "Un cadre juridique imposera une rigueur et une déontologie"
C'est en janvier 2020, tout juste avant le confinement, que l'enseigne Le Chanvrier Français voit le jour à Paris. Malgré les restrictions sanitaires qui impacteront l'activité du point de vente, Le Chanvrier Français performe grâce à la livraison. "Le confinement nous a coupé l'herbe sous le pied mais on a rebondi. Les réseaux sociaux nous ont bien aidé pour booster les ventes, ce qui nous a permis de générer du chiffre d'affaires et d'ouvrir un second point de vente en janvier 2021", insiste Mathieu Bensa, co-fondateur de l'enseigne. Et le réseau ne mise pas que sur le CBD pour convaincre les consommateurs. "Peu de gens le comprennent de prime abord, mais nous travaillons toute la plante de chanvre (CBD, CBN, CBG, etc.) Nous commercialisons des huiles sublinguales, des infusions, ou encore du miel à l'extrait de chanvre. Avec un seul crédo : la qualité. C'est pour cela que nous vendons uniquement notre marque", détaille l'entrepreneur. À date, le réseau compte 20 unités, dont 15 en franchise, et souhaite continuer à se développer en atteignant une cinquantaine de points de vente d'ici fin 2023. Conscient des limites du marché dues à l'absence de cadre réglementaire, Mathieu Bensa est pour autant confiant. "Une inconnue persiste mais cela ne m'effraie pas. Les pouvoirs publics s'intéressent au CBD et c'est plutôt une bonne chose. Le gouvernement ne pourra pas interdire un produit qui est autorisé au niveau européen", affirme Mathieu Bensa. L'entrepreneur assure toutefois qu'un cadre juridique doit être posé pour convaincre les consommateurs mais pas seulement. "Cela rassurera aussi les acteurs bancaires. Face au flou juridique qui persiste, les banques sont frileuses à accompagner les porteurs de projet. C'est compréhensible. Un cadre juridique imposera aussi une rigueur et une déontologie aux acteurs du marché", prône Mathieu Bensa.
Séduire les consommateurs
Dans ce contexte incertain, mais pourtant porteur, les acteurs du CBD ont alors plusieurs défis à relever. Le premier : convaincre un spectre de consommateurs plus large. Selon une récente étude Ifop, réalisée pour le média Zeweed et le Syndicat Professionnel du Chanvre, plus d'un quart des Français (26 %) ont déjà consommé du CBD sous au moins une de ses formes (huiles, fleurs séchées, tisanes ou encore cosmétiques). Un chiffre qui devrait, semble-t-il, continuer à grimper. "En 2021, le marché du CBD représentait 400 millions d'euros de chiffre d'affaires (tous produits confondus), assure Aurélien Delecroix avant de préciser :
À terme, nous estimons que le secteur pourrait atteindre les 2 milliards d'euros. Mais un cadre légal est nécessaire pour rassurer les consommateurs.
Le cannabibidiol se confronte, en effet, à de nombreuses idées reçues. Mais s'adresse pourtant à toutes les catégories de consommateurs, à en croire nos interlocuteurs. "La vente de fleurs séchées à fumer s'oriente clairement vers les consommateurs de cannabis récréatif et qui veulent un produit de substitut, sans THC. En revanche, il y a tout un pan de clients, qui connaissent peu voire pas du tout le cannabis, pour qui le CBD est une alternative. Tout simplement parce qu'ils souhaitent s'orienter vers des produits bien-être, comme les gommes ou les compléments alimentaires, afin de diminuer le stress ou le sommeil", insiste Aurélien Delecroix. Un constat clairement partagé par Jean-François Calvo, qui en parallèle de son activité de consultant chez Progressium, a rejoint l'enseigne Le Chanvrier Français en ouvrant une boutique à Lyon au mois de juin 2022. "Il y a deux grandes tendances : les coffee-shop et les magasins orientés bien-être. Deux positionnements qui, selon moi, resteront à long terme. Dans nos clients, nous avons ceux qui connaissent le produit et sont convaincus. D'autres en revanche viennent chez nous mais avec des réticences et des croyances fortes. Il suffit simplement d'expliquer. C'est l'ignorance du marché qui entraîne une peur des consommateurs."
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Anticiper le marché
À date, le marché du CBD compterait 2 000 boutiques spécialisées. Et la progression du nombre d'acteurs s'est clairement intensifiée depuis deux ans. Selon les données du Syndicat Professionnel du Chanvre, le secteur comptait en effet seulement une trentaine de boutiques en 2018. "En novembre 2020, on comptabilisait 400 points de vente, pour atteindre les 1 500 commerces fin 2021. Pour autant, le déploiement s'est un peu freiné en 2022", insiste Aurélien Delecroix. Les raisons de ce ralentissement sont multiples. On l'a dit, le marché est encore soumis à une réglementation assez floue, ne rassurant ni les porteurs de projet ni les consommateurs. "En matière de maillage territorial, il y encore une vraie marge de développement. Mais cela ne sera possible qu'à deux conditions : une réglementation claire doit voir le jour et le contexte économique doit s'améliorer", analyse le président du Syndicat professionnel du Chanvre. À ces incertitudes légales et économiques, les commerces spécialisés doivent également faire face à une augmentation de la concurrence plus grand public. Les pharmacies et les acteurs de la grande distribution commencent à investir le marché. "Pour contrer cela, nombreuses sont les boutiques spécialisées à avoir revu leur positionnement, initialement axé sur la vente de fleurs séchées, et à proposer une offre de produits plus larges", indique Aurélien Delecroix.
Baga : "De plus en plus de néophytes se tournent vers les produits à base CBD"
La marque spécialisée dans les boissons à base de CBD a vu le jour en 2021 après plus de deux ans de recherches. "Nous avons fait le choix et privilégié la conception d'un produit transformé à base de CBD plutôt que de nous spécialisé sur la fleur. C'était un moyen pour nous de sécuriser notre projet mais surtout de toucher un public le plus large possible", confie Gaspard Duval, co-fondateur de la marque. À date, l'entreprise compte six références de boissons et va diversifier son offre avec l'arrivée de gommes à mâcher et des compléments alimentaires. "La diversification est clairement une stratégie importante pour séduire les moins convaincus. On le voit, de plus en plus de néophytes se tournent vers les produits à base de CBD", souligne Gaspard Duval. Pour l'entrepreneur, malgré le manque de cadre réglementaire, le marché est en pleine progression. "On observe une forte progression des produits à base de CBD dans les canaux de vente traditionnels. Cela me laisse penser que c'est un marché qui va se démocratiser et qui sera pérenne. Le cadre juridique va s'éclaircir, rassurant les consommateurs. Les deux prochaines années seront un vrai tournant pour le secteur, j'en suis convaincu", conclut Gaspard Duval.
Difficultés de financement
Autre défi de taille pour le secteur : parvenir à convaincre les acteurs bancaires de la viabilité de leur projet. Si votre choix est fait et que le secteur du CBD vous séduit pour vous lancer, ayez en tête que vous serez sûrement obligés de financer l'ensemble de votre projet avec vos propres deniers. "Les banques sont frileuses à associer leur image au CBD. On en revient toujours à cette nécessité d'évangéliser le marché. Je savais qu'en me lançant en tant que franchisé Le Chanvrier Français je devrais investir au moins 30 000 euros pour financer le projet", confie Jean-François Calvo. L'entrepreneur assure qu'avec un cadre légal, les banques seront sûrement plus ouvertes à financer les projets, surtout si vous multipliez les points de vente. "S'adosser à une enseigne permet aussi de rassurer, en particulier sur les approvisionnements, et de gagner du temps. Sans un réseau, vous mettrez plus de temps à développer votre activité", ajoute Jean-François Calvo. Le franchisé, qui souhaite ouvrir une dizaine de magasins sur la région lyonnaise, assure avoir été surpris par le démarrage de son activité, lancée en période creuse pour le secteur. "Nous avons ouvert en plein été, nous avons fait un chiffre quatre fois plus élevé que ce qu'on avait indiqué dans notre prévisionnel", insiste-t-il.
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Pour accompagner les futurs entrepreneurs souhaitant investir sur le marché du CBD, le Syndicat Professionnel du Chanvre travaille avec des partenaires bancaires afin de faciliter leur installation. "On le sait, les porteurs de projet font majoritairement appel à leurs économies et à de la love money pour se financer. Nous avons réussi à nouer des partenariats avec une banque permettant ainsi aux entrepreneurs d'accéder à des emprunts bancaires mais aussi à des services (ouverture d'un compte professionnel ou encore accès à un TPE pour le point de vente)", détaille Aurélien Delecroix. Autant d'avancées qui peuvent vous rassurer dans votre projet. Quoiqu'il en soit, si le secteur du CBD a ses spécificités, ne négligez pas les étapes essentielles de la création d'entreprise et n'hésitez pas à vous tourner vers des experts pour vous épauler.