Se lancer dans l'aventure entrepreneuriale avec un associé est loin d'être un long fleuve tranquille. Cela l'est encore moins si vous décidez de sauter le pas avec votre conjoint. Si les conseils peuvent sembler identiques, il y a quelques précautions supplémentaires à prendre avant de s'engager. Décryptage.
Dans tout projet entrepreneurial, il est essentiel d'être soutenu par son entourage et notamment son conjoint. Il peut arriver que votre envie de devenir entrepreneur soit partagée par votre moitié, à tel point que vous décidiez de franchir le pas ensemble. Mais est-ce vraiment une bonne idée ? Sylvain Bartolomeu, dirigeant associé du cabinet Franchise Management, annonce d'emblée :
On peut dire que le couple peut être le meilleur comme le pire allié dans un projet entrepreneurial.
Et l'expert précise : "Avant de se lancer avec son conjoint, comme dans toute association, deux questions primordiales se posent : celle de la complémentarité mais aussi celle de l'équilibre. Il faut également être en capacité d'anticiper le pire scénario." Ayez en effet à l'esprit que vous connaissez sûrement votre conjoint parfaitement dans la sphère privée mais que vous ne l'avez très probablement jamais vu évoluer dans le milieu professionnel. "Il faut donc avoir l'honnêteté intellectuelle et se dire que l'on va peut-être découvrir des comportements pouvant nous déplaire", affirme de son côté Nathalie Carré, expert entrepreneuriat au sein de CCI France.
Lire aussi :
| Créer plusieurs entreprises : ne partez pas tête baissée !
Se répartir les rôles
Si votre décision est prise et que vous vous projetez, ensemble, à la tête d'une entreprise, certaines précautions sont à prendre, notamment sur le plan juridique. Déjà, au-delà du pacte d'associé recommandé dans n'importe quelle association, il est opportun de réfléchir à un contrat de mariage si vous n'en avez pas rédigé au prélable. "C'est une étape importante pour protéger le patrimoine. Aussi, le pacte d'associé doit vous permettre de préciser la répartition des parts, si l'un des conjoint est travailleur salarié ou bien quelle est la logique de rémunération", explique Sylvain Bartolomeu. Dans le détail, évitez une répartition égalitaire, à 50/50. "C'est une vraie bêtise, cela multiplie les raisons de blocage. Il vaut mieux se répartir les tâches en fonction d'où on est le meilleur. Si votre point fort c'est le marketing, alors balisez les rôles de sorte que ce soit vous qui prenez les décisions sur cet aspect", insiste Nathalie Carré, avant de nuancer :
Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas informer l'autre de toutes les décisions, au contraire. Mais soyez autonomes sur vos champs d'action.
De manière unanime, les experts conseillent d'éviter le statut de "conjoint collaborateur" et de bien reconnaître la valeur de chacun dans le projet. "Quand les deux conjoints sont impliqués, il faut une réelle reconnaissance. En revanche, comme quand on est amis et que l'on entreprend, cela ne fonctionne pas quand tout est égal. Ce n'est jamais la réalité", insiste Sylvain Bartolomeu. Et l'expert en franchise affirme :
Il y a toujours l'un des deux associés qui apporte plus de valeur. Ce n'est pas grave ! Il faut juste que cela soit encadré et challengé.
Aussi, il est largement conseillé de se faire accompagner par des experts et notamment par un notaire. Ce dernier sera à même de vous épauler pour bien protéger votre patrimoine personnel. "Il y a des questions qui demandent à être anticipées. Comme la mort d'un des deux partenaires. Le but ? Protéger l'autre associé mais aussi les enfants s'il y en a. Le notaire connaît toutes ces questions et trouvera la meilleure option pour protéger les biens matériels et les membres de la famille", affirme Nathalie Carré.
Sophie et Hervé Hamelet (multi-franchisé Feuillette) : "Nous n'avons jamais voulu affecter notre vie familiale avec nos problèmes liés à l'entreprise"
En couple, Hervé et Sophie Hamelet travaillent ensemble depuis 20 ans. Et connaissent toutes les subtilités de l'entrepreneuriat. Après avoir ouvert une première boulangerie pâtisserie à Paris, en tant qu'entrepreneur isolé, ils sont devenus franchisés Feuillette et se sont installés dans l'Aube. Ensemble, ils sont désormais à la tête de quatre boulangeries. Multi-franchisés, entrepreneurs et en couple : leur secret du succès reste la répartition des rôles. "Sophie a en charge toute la partie RH mais aussi comptabilité. Elle reste le plus souvent au siège de notre entreprise. Quant à moi, je suis davantage dans l'opérationnel", explique Hervé Hamelet. Et ce dernier affirme : "Avec 170 salariés, on est désormais un petit groupe dans un grand groupe. Les missions sont partagées et c'est essentiel. Car travailler ensemble n'est pas évident. Pour que ce type d'association fonctionne, il est clair que les tâches doivent être bien réparties à l'avance." De son côté, Sophie Hamelet confie qu'elle a toujours eu à cœur de scinder leur vie d'entrepreneurs et leur vie familiale. "À partir du moment où je franchis la maison, je ne m'occupe plus des questions de boulot. Sauf s'il y a une urgence. Nous avons des enfants et nous n'avons jamais voulu affecter notre vie familiale avec nos problèmes liés à l'entreprise. Nous y parvenons autant que possible". Quand on les interroge sur l'entrepreneuriat en couple et les avantages que cela procure, la réponse est claire : "On a toujours travaillé ensemble. On est habitué, rodé et on se connaît parfaitement", témoigne Sophie Hamelet. Pour la chef d'entreprise, la clé reste de pouvoir déléguer. "Nous avons tout fait pour apporter la meilleure qualité de vie au travail à nos salariés. Du coup, ce n'est pas difficile pour nous de déléguer car nous avons des pépites sur lesquelles on peut se reposer. Nous sommes clairement bien entourés et staffés, ce qui permet de nous soulager et de concilier notre activité de chef d'entreprise et notre vie familiale", conclut Sophie Hamelet.
Trouver du temps pour soi
Si les rôles doivent être bien répartis, il est aussi essentiel d'être soudés et de faire bloc, notamment vis-à-vis des salariés. "Il ne faut jamais se désavouer devant les équipes, c'est une règle de base. C'est comme pour les enfants. S'ils voient qu'il y a une dissension, ils vont s'engouffrer dans la brèche", alerte Nathalie Carré, avant de concéder : "Cela implique beaucoup de communication." D'ailleurs, selon nos interlocuteurs, la communication reste un aspect essentiel pour qu'entreprendre en couple rime avec succès. Pour cela, n'hésitez pas à prévoir des temps d'échanges pour vous retrouver et parler de sujets essentiels. Surtout, faites en sorte de ne pas évoquer les sujets liés à l'entreprise lors de moments personnels. "Tout le sujet est de savoir où sont les sas de décompression. Mais forcément, quand on est chef d'entreprise, cela rejaillit sur la vie de famille. Et quand on entreprend en couple cela est d'autant plus stress", souligne Sylvain Bartolomeu. Et ce dernier précise :
Entreprendre avec son conjoint reste une aventure humaine très intéressante. Mais ayez en tête que ce projet entrepreneurial, s'il n'est pas équilibré, peut faire exploser le couple !
Un exercice d'équilibriste qui s'avère donc compliqué et qui n'est pas forcément inné. "On dit qu'il faut séparer le pro et le perso. Mais ce n'est pas possible ! On est des êtres humains. En revanche, on peut effectivement convenir de points très réguliers pour évoquer tous les sujets clés liés à la gestion de l'entreprise et donc minimiser l'impact sur la vie familiale", affirme Nathalie Carré, sans détours. Pour minimiser la prise de risque, il peut être opportun que, dans un premier temps, un seul membre du couple s'investisse dans le projet. "Quand on est les deux dans le même bateau, cela peut ajouter du stress, notamment au démarrage de l'entreprise, concède Sylvain Bartolomeu. Avec le conjoint qui travaille, cela apporte une sérénité indéniable, notamment si le projet ne fonctionne pas."
Lire aussi :
| Se lancer avec un associé : prenez vos précautions !
Avantage ou inconvénient ?
On l'a vu, il existe un tas de bonnes pratiques qui peuvent vous permettre de réunir toutes les chances et de favoriser la réussite de votre projet entrepreneurial. Pour autant, entreprendre en couple est-il forcément un avantage ? Cela dépendra vraiment de votre profil et de l'entente que vous avez avec votre conjoint. "Il y a des situations où la complémentarité est évidente et cela fonctionnera parfaitement. Dans d'autres cas, on le voit dès le départ que cela ne marchera pas. Notamment parce que la vision du projet entrepreneurial n'est pas la même", souligne Sylvain Bartolomeu. Et ce dernier alerter :
L'entrepreneuriat c'est un autre monde. On change d'univers et on se retrouve dans un milieu plus cash, plus exacerbé et qui vous mettra forcément en tension.
Pour Sophie et Hervé Hamelet, associés depuis plus de 20 ans, être entrepreneurs et en couple est un vrai avantage. Ensemble, ils ont notamment ouvert quatre boulangeries Feuillette. "On a toujours travaillé ensemble, donc je ne me rends plus forcément compte si c'est une force ou faiblesse, concède Sophie Hamelet. Aujourd'hui, on est habitué, rodé et on se connait parfaitement. On sait ce qu'il faut faire pour ne pas empiéter sur le territoire de l'autre. Ce n'est pas simple tous les jours mais la clé reste la communication." De son côté, Nathalie Carré affirme que la seule faiblesse d'une telle situation est de laisser pourrir la situation quand il y a une mésentente ou une incompréhension. "Du conflit et des mauvaises situations, il y en aura toujours dans l'entrepreneuriat, affirme-t-elle, avant de conclure : Ne partez pas du principe que tout est rose. Mais comme on le fait dans la vie personnelle : on le droit de s'engueuler parce que l'on n'est pas d'accord, mais on ne s'endort pas fâché !"