L'entrepreneuriat, une affaire d'hommes ? Plus seulement. Les femmes sont de plus en plus nombreuses à se laisser tenter par l'aventure entrepreneuriale. Mais des freins persistent encore. Décryptage.
Les femmes, se tournent-elles davantage vers l'entrepreneuriat ? La réponse est clairement oui, mais la parité n'est pas encore atteinte. Selon les derniers chiffres de l'Insee, portant sur l'année 2022, 45 % des entreprises créées l'ont été par des femmes. "Cette part augmente de 2 points par rapport à l'année précédente, alors qu'elle était restée stable autour de 43 % entre 2015 et 2021", explique l'Insee. Une légère augmentation qui s'analyse. Le nombre de créations a notamment été soutenu dans des secteurs particulièrement féminisés, comme les services aux ménages, tandis que celles dans les transports et l'entreposage, dans lesquels les hommes sont surreprésentés, sont en recul. L'Insee détaille par ailleurs :
Les femmes sont à l'origine de 55 % des créations d'entreprises individuelles classiques et de 43 % des immatriculations sous le régime du micro-entrepreneur.
L'entrepreneuriat apparaît être aussi un fabuleux moyen pour les femmes en quête de reconversion. Selon une étude réalisée par l'Adie et publiée en janvier dernier, un tiers des femmes ne se sentent pas ou plus à leur place dans leur vie professionnelle. 37 % des répondantes souhaitent se reconvertir pour donner plus de sens à leur vie et 30 % aimeraient le faire en étant entrepreneures. Autant de constats montrant que l'entrepreneuriat n'est plus seulement une affaire d'hommes et est de plus en plus accessible aux yeux des femmes. "Les personnes que j'accompagne me disent souvent qu'elles en ont marre de leur métier actuel, qu'elles veulent mieux concilier vie pro/vie privée et surtout elles veulent travailler pour elles", insiste Corinne Gicquel, coach, experte en entrepreneuriat et fondatrice de Reconversion en franchise
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Des projets sous-estimés
Pour autant, si elles passent plus facilement le cap, on remarque que les projets sont encore sous-estimés par les futures entrepreneures elles-mêmes, par manque de confiance. "Les projets des entrepreneures sont souvent pas assez bien calibrés, constate Marjolaine Pierrat-Ferraille, déléguée générale du réseau d'incubateurs Les Premières. Notre volonté est donc simple : nous voulons monter en ambition les business plans. On apprend aux femmes à ne pas avoir peur d'être ambitieuses." Marie Rousselet, entrepreneure et créatrice du média digital Entre'elles Webzine, dont la vocation est de valoriser l'entrepreneuriat au féminin, assure : "Les femmes sont de moins en moins frileuses à entreprendre, surtout depuis la crise de la Covid qui a clairement eu son impact." Mais la jeune femme déplore :
Je regrette que, trop souvent, les femmes n'osent pas aller plus loin que la microentreprise. Il y a ce syndrome de l'imposteur qui perdure et l'insécurité qui effraie encore trop.
De son côté, Nathalie Nguyen, co-fondatrice du réseau Lanta Wok et ex-candidate de Master Chef confie : "En tant que femme, on rencontre forcément des freins naturels pour entreprendre : c'est nous qui tombons enceinte. Néanmoins, ce n'est pas impossible, c'est une question d'organisation." La chef d'entreprise fait partie de ces femmes qui se sont reconverties en devenant entrepreneure. D'abord en étant consultante culinaire en autoentrepreneur (désormais microentrepreneur), puis en étant chef de cuisine et associée pour le restaurant Mother, situé à Boulogne-Billancourt. Aujourd'hui, elle se consacre au développement de l'enseigne Lanta Wok, co-fondée avec Nessim Kouachi. L'entrepreneure l'admet : elle a pu se lancer dans plusieurs projets entrepreneuriaux parce qu'elle était soutenue par son conjoint. "Toute seule, je n'y serais jamais arrivée. Le fait d'être un vrai binôme est essentiel !"
Manque de légitimité
Une fois le projet acté, les femmes font face à diverses problématiques, notamment à celles du financement. "Les femmes ont deux fois moins de chances d'obtenir un prêt bancaires. Cela est dû aux différents freins que l'on connaît mais aussi aux préjugés de la société", insiste Marjolaine Pierrat-Ferraille. De son côté, Marie Rousselet témoigne : "Quand une femme veut entreprendre, la première réaction reste 'Mais qu'est-ce qu'elle fait !'. Il y a des injonctions sociétales encore très fortes. Face au banquier, j'ai été personnellement confrontée à des questions auxquelles je ne m'attendais absolument pas. Comme 'êtes-vous mariée ? Votre conjoint est-il en CDI ?'", détaille-t-elle, avant de souligner, à juste titre :
Des interrogations qui sont d'un non-sens quand vous venez présenter votre projet et qu'on ne pose pas forcément à des hommes.
De manière générale, les entrepreneures doivent faire preuve de plus de résilience et prouver davantage leur légitimité concernant leur projet. Ainsi, selon les récents chiffres du Réseau Initiative France, 22 % des entrepreneures affirment avoir été confrontées à des difficultés parce qu'elles étaient des femmes. Parmi elles, 71 % disent avoir fait face à des clichés et des préjugés tandis que 65 % ont rencontré des difficultés pour être reconnues comme légitimes. Ce constat, Anne Kerveillant l'a fait lorsqu'elle a décidé de se lancer dans un secteur tabou, celui du bien-être sexuel. En créant MyLubie, elle voulait démocratiser les produits dédiés au bien-être intime, comme les lubrifiants. L'entrepreneure assure :
On ne prend pas ce genre de business au sérieux. Et le fait d'être une femme n'a pas forcément aidé, même si je l'ai pris clairement comme une force. Cela m'a permis d'être plus résiliente.
Et la jeune femme, tombée dans l'entrepreneuriat pendant ses études, affirme que les portes se sont davantage ouvertes quand elle s'est associée. "Mon associé, Pierre Lagache, parlait mieux le langage des financiers. Même si j'avais un bagage sur ce point-là, il était davantage écouté par les investisseurs, confie-t-elle. Globalement les sujets femtechs (projets dédiés à la santé des femmes, ndlr.) sont portés pas des femmes et sont donc un peu moins pris au sérieux par les investisseurs, majoritairement des hommes qui ne comprennent pas forcément le marché. C'est donc logiquement plus compliqué pour les entrepreneures."
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L'accompagnement comme fer de lance
L'un des moyens pour les femmes de compenser ce manque de légitimité reste de se faire accompagner. Soit par des conseils soit par des réseaux comme Les Premières. "Les femmes entrepreneures accompagnées ont un meilleur taux de réussite à long terme. Elles sont plus prudentes au démarrage et leurs entreprises affichent donc une meilleure pérennité", confirme Marjolaine Pierrat-Ferraille. Corinne Gicquel abonde de son côté : "9 femmes sur 10 veulent être accompagnées dans leur projet entrepreneurial. C'est toujours lié à ce manque de confiance et à cette peur de ne pas réussir", souligne-t-elle. Et pour cette dernière, le modèle de la franchise répond parfaitement à ce besoin d'accompagnement :
La franchise reste prisée par les porteuses de projet. Les enseignes aiment bien ces profils car les franchisées sont davantage impliquées dans la vie du réseau et dans son évolution.
Pour accompagner les porteuses de projet vers la franchise, Corinne Gicquel a d'ailleurs pensé un programme appelé "30 jours pour entreprendre". Le coup d'envoi de ce programme hybride, mêlant conférences en présentiel mais aussi webinar, a été donné ce mercredi 8 mars et se déroulera jusqu'au 8 avril. Pour aller plus loin et ainsi inciter les futures entrepreneures à se lancer en franchise, Corinne Gicquel, en partenariat avec plusieurs acteurs clés (Franchise Management, Territoires & Marketing, Banque Populaire, In Extenso ou encore la Fédération française de la franchise) organise la seconde édition du concours "Un Métier, Une enseigne". "L'objectif de ce concours est d'offrir une prestation d'accompagnement à trois femmes qui ont un projet de franchise. Pour participer, il faut être majeure et avoir initié quelques démarches dans son envie d'entreprendre mais également avoir un apport minimum de 15 000 euros", détaille Corinne Gicquel. Et l'experte ajoute :
10 finalistes seront sélectionnées pour pitcher devant un jury. L'année dernière nous avons eu une quarantaine de participantes.
L'accompagnement apparaît donc comme une étape charnière du projet des futures entrepreneures. Surtout, Marie Rousselet conseille de ne pas hésiter de parler autour de soi de son idée de business : "Il y aura toujours dans l'écosystème des personnes qui vous aideront à affiner votre projet. N'hésitez pas à être fière de montrer que vous entreprenez", affirme-t-il, avant de conclure : "C'est un défaut très féminin. Les entrepreneures n'aiment pas se mettre en avant. Et le fait qu'il n'y ait pas d'exemples clés n'aide pas vraiment. Même si les choses tendent à évoluer et que l'entrepreneuriat féminin est de plus en plus valorisé."