Depuis deux ans, le secteur de l'occasion est de plus en plus plébiscité par les Français. Résultats : quand les enseignes, historiquement engagées sur ce marché, performent, d'autres passent le cap. La seconde main concerne désormais tous les secteurs d'activité. Décryptage.
Les produits d'occasion ont le vent en poupe, c'est le moins que l'on puisse dire. Porté par les crises successives et les évolutions sociétales, le marché affiche une belle croissance. Ainsi, en 2021, le chiffre d'affaires du secteur a atteint 9 milliards d'euros en France, selon Xerfi, qui vient de publier une étude sur le sujet. "Il devrait franchir la barre des 10 milliards d'euros d'ici 2025", souligne le cabinet. Un succès dû aux différents acteurs en ligne comme Leboncoin, Vinted ou encore Back Market qui ont clairement décomplexé les Français. Désormais, acheter des biens d'occasion est devenu banal. Xerfi analyse ainsi :
[Un acte d'achat] avant tout motivé par la perspective de réaliser des économies mais aussi l'ambition de réduire son empreinte carbone.
Le marché affiche donc un potentiel de croissance important. Et tous les acteurs du commerce, quel que soit leur secteur, l'ont bien compris. Prêt-à-porter, électroménager, bricolage, jouets… Tous les marchés investissent dans la seconde main. Et les enseignes historiques, spécialisées dans l'achat-revente d'occasion comme Easy Cash, Cash Converters ou Cash Express, continuent quant à elles de performer et de capter toujours plus de nouveaux clients. "On est clairement sur une tendance qui se confirme. Évidemment, notre activité est portée et a été accélérée par des phénomènes négatifs et conjoncturels (crise sanitaire, énergétique, contexte inflationniste…). Mais de façon générale, les consommateurs se tournent plus aisément vers le marché de l'occasion", estime Arnaud Guérin, directeur général de l'enseigne Cash Express. Et conscient du potentiel du marché, ce dernier ajoute :
Notre défi est désormais de convertir ces clients qui n'avaient jamais passé le seuil de nos magasins et de les fidéliser. Nous devons leur faire comprendre qu'il ne s'agit pas seulement d'une solution pansement.
Concurrencer les pureplayers
L'un des enjeux du secteur est de parvenir à se faire une place dans un univers concurrencé et surtout dominé par les plates-formes de mise en relation. "Les segments de l'ameublement et de la mode de seconde main sont aujourd'hui verrouillés respectivement par Leboncoin et Vinted. La perspective de gagner des parts de marché sur ces segments semble donc limitée pour les enseignes traditionnelles", souligne Xerfi. Pour autant, les acteurs historiques semblent vouloir tester le marché.
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C'est le cas du groupe Eram, maison-mère des enseignes Eram, Bocage, Mellow Yellow ou encore Gémo. L'entreprise familiale a fait de la RSE un axe stratégique fort depuis quelques années et le met davantage en avant notamment via ses collections éco-conçues. Depuis novembre, le groupe mise aussi sur Claquettes Market, marketplace dédiée aux chaussures de seconde main. "Nous avons constaté que beaucoup de chaussures de nos marques étaient vendues sur Vinted. Cela signifiait que nos clients étaient vendeurs mais aussi acheteurs de produits d'occasion, insiste Alexandra Gibou, responsable de la plate-forme Claquettes Market. Et cette dernière d'ajouter :
Il y avait donc une demande de la part des clients et il était important que nous nous engagions dans cette voie.
Pour se différencier des acteurs digitaux, l'ensemble de nos interlocuteurs sont unanimes : il faut être en mesure d'apporter du service aux consommateurs. "Avoir un magasin physique fait clairement la différence pour notamment régler les problématiques de service après-vente, soulève Arnaud Guérin. On coche aujourd'hui toutes les cases pour satisfaire la clientèle. Le gâteau grossit mais l'arrivée de nouveaux acteurs ne fait pas diminuer notre chiffre d'affaires, au contraire. Nous parvenons à séduire des consommateurs déçus des pureplayers."
Cash Express : "Notre ticket moyen a augmenté de 40 %"
Selon l'enseigne Cash Express, fondée il y a 20 ans, les consommateurs ont de plus en plus confiance aux produits d'occasion. Si le marché d'achat-revente avait ses fidèles avant la crise sanitaire, l'enseigne assure que les dernières années ont clairement boosté la demande. "On le mesure par notre ticket moyen qui a augmenté de 40 % par rapport à l'avant Covid-19. Les produits high-tech et luxueux, comme les bijoux et la maroquinerie sont notamment plébiscités", détaille Arnaud Guérin, directeur général de l'enseigne. Pour séduire davantage de clients, l'enseigne a pensé un nouveau modèle de son concept, adoptant désormais des couleurs plus sobre et des matières plus qualitatives. "On a abandonné la couleur orange au profit du vert et nous avons adopté plus de bois dans notre architecture. L'idée était d'être réellement en cohérence avec les valeurs RSE du marché que l'on porte", insiste Arnaud Guérin. Le parcours client a été aussi facilité, notamment pour éviter l'attente en magasin quand les clients viennent déposer un produit. "Nous avons mis des casiers. Nous voulions clairement enlever tous les irritants et faire en sorte que les clients viennent par plaisir et non plus parce qu'ils sont contraints", affirme-t-il. Pour l'enseigne aux 134 magasins, malgré les inconnues qui s'annoncent pour l'année 2023, le secteur restera porteur. "Nous avons la chance d'être perçu comme un marché de repli pour les consommateurs. Le seul bémol reste les approvisionnements. Si les clients consomment moins de produits neufs nous auront, de fait, moins de choses à vendre", conclut Arnaud Guérin.
Lever les freins
Toutefois, sur certains pans de marché, il existe encore des irritants ou des points d'inquiétude aux yeux des clients, les rendant frileux à passer le cap. Sur le segment des jouets, par exemple, les Français ont encore majoritairement l'habitude d'effectuer leurs achats entre particuliers. Malgré tout, les enseignes spécialistes n'hésitent pas à se lancer en testant différents modèles. Si King Jouet a pris le parti de créer des magasins dédiés sous l'enseigne King Okaz, le réseau JouéClub va déployer, quant à lui, des corners dans ses différents magasins. "Selon nous, les corners restent le meilleur moyen d'adresser le marché", détaille Franck Mathais, porte-parole de l'enseigne. Et le réseau a fait le choix d'exclure d'office certaines catégories de jouet afin d'offrir le meilleur service à ses clients. "Nous reprenons les jouets qu'ils aient été achetés chez JouéClub ou non. En revanche, tout ce qui est électronique ne fait pas partie des gammes pouvant être reprises, détaille Franck Mathais avant d'expliquer :
Tout simplement parce qu'en tant que magasin nous devons offrir un service après-vente et sur cette typologie de produits, en occasion, c'est compliqué. Nous ne voulons pas créer de l'insatisfaction.
Offrir toujours plus de service était également le leitmotiv de Claquettes Market. Au départ, le Groupe Eram avait pensé à une offre uniquement digitale. Finalement, la plate-forme offre différents parcours clients. "Les consommateurs peuvent directement poster leurs chaussures sur notre site Internet et nous sommes qu'intermédiaires entre deux particuliers, comme Vinted, détaille Alexandra Gibou. Mais les clients peuvent également venir directement en magasins déposer leurs paires de chaussures à vendre. C'était incontournable de proposer ce service, afin de capter la clientèle moins à l'aise avec les outils digitaux."
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Une question d'image
Si investir sur le marché de l'occasion ne fait plus de doute, les enseignes sont tout de même conscientes que c'est un pan de marché bien souvent marginale. "Je ne sais pas si la seconde main est applicable à tous les secteurs d'activité. Mais le fait est que la mode et le prêt-à-porter est une industrie très polluante. C'est donc un vrai sujet, admet Alexandra Gibou avant d'assurer :
Les enseignes ne vont pas sur la seconde main pour le chiffre d'affaires. Il y a surtout une conscience générale de faire attention à l'impact que nous avons et un aspect servitiel important.
Même discours du côté des acteurs du jouet. Chez King Jouet, si l'on mise sur un concept dédié, seulement 20 % de l'offre est dédiée à la seconde main. "Notre ambition est de passer à 30 %. Nous avons fait le choix d'une marque propre pour affirmer notre positionnement auprès des consommateurs. Le discours sera sans doute à affiner mais nous sommes très optimisme quant à la part d'occasion sur le marché du jouet", souligne Philippe Gueydon, directeur général de King Jouet. Du côté de Franck Mathais, le discours est similaire. Sur les premiers magasins tests, les corners Troc O'Joué représentent moins de 10 % de chiffre d'affaires. "Ce n'est donc pas une enjeu de chiffre d'affaires. Mais ce qui nous intéresse reste l'écho très positif du côté des clients. Nous affichons un taux de reprise et de rachat assez important", insiste-t-il.
Claquettes Market : "Notre but ? Remettre la seconde main au cœur de la consommation"
Le Groupe Eram a voulu se saisir du sujet de la seconde main en créant une marketplace dédiée aux chaussures d'occasion. Avec Claquettes Market, lancée en novembre dernier, le groupe Eram propose ainsi aux consommateurs de vendre directement leurs paires de chaussure sur la plate-forme. Claquettes Market propose également de venir déposer les chaussures en magasins. À date, 68 boutiques Eram et Bocage proposent ce nouveau service. "On les récupère, on les nettoie et on les prend en photo. Cela permet aux clients qui ne veulent pas s'en occuper de déléguer mais surtout à ceux qui sont réfractaires de pouvoir venir essayer le produit en magasin", insiste Alexandra Gibou, responsable de Claquettes Market. Une fois le produit vendu, le client reçoit un bon d'achat, abondé de 30 % du prix de vente, à venir dépenser dans l'un des magasins du groupe. Ce nouveau canal de vente est aussi une façon pour l'entreprise familiale d'écouler ses stocks dormants. "On s'est rendu compte qu'il y avait beaucoup de stocks qui ne pouvaient pas aller en magasins, parce qu'ils ont des défauts ou parce qu'ils sont décolorés. Ces articles étaient vendus à des solders. Finalement, on ne savait pas où partaient ces produits", détaille Alexandra Gibou. Pour reprendre la main sur ses stocks, le Groupe Eram a fait le choix de vendre sur Claquettes Market ces stocks à -50 %. "Cela fonctionne très bien. C'est un moyen de séduire des consommateurs encore frileux à la seconde main", insiste Alexandra Gibou. Prochaine étape pour Claquettes Market ? Unifier son parcours client. Car aujourd'hui, pour acheter une paire de seconde main présente en boutiques, les consommateurs doivent obligatoirement passer par le site Internet. "On n'est pas logué sur les caisses des magasins. C'est une déception pour les clients et nous étudions la possibilité d'améliorer ce point. C'est un gros sujet car, sur les clients qui se rendent en boutique, nous perdons une vente sur deux", conclut Alexandra Gibou.
La grande distribution sur le pont
Et il n'y a pas que les spécialistes qui prennent le tournant de la seconde main. La grande distribution s'est saisie du sujet. Quand Auchan a testé des vêtements d'occasion, Carrefour et Cora s'allient à des acteurs de l'achat-revente pour implanter des corners dédiés dans leurs magasins. "Ce n'est pas du tout la même clientèle, assure Arnaud Guérin, avant de préciser :
Quand on est en concurrence frontale avec ces acteurs, on remarque que les consommateurs restent attachés aux spécialistes.
L'enseigne Cash Express assure par ailleurs ne pas vouloir forcément s'engager, comme ses concurrents Cash Converters ou Easy Cash, dans cette voie. "On est sollicité, on écoute et on échange beaucoup. Notre volonté n'est pas de dénaturer le positionnement que nous avons avec notre réseau. Si nous nous engageons dans une telle stratégie, cela doit être profitable pour tout le monde", affirme-t-il. De manière générale, le secteur de l'occasion a encore de beaux jours devant lui. Mais il fait aussi face à de nombreux défis, comme le souligne Xerfi. "Face aux offensives des enseignes du neuf et des poids lourds du marché, les spécialistes ne sont pas restés les bras croisés. Les enseignes d'achat-revente renouvellent leur concept de magasin et s'installent davantage en centre-ville pour capter une clientèle plus large", conclut le cabinet d'étude.