Marché du jouet, entre résilience et nouveaux défis

Camille Boulate
Marché du jouet, entre résilience et nouveaux défis

Malgré deux années de fortes turbulences, le marché du jouet continue d'afficher de belles performances et donc de belles opportunités pour les porteurs de projet. Les spécialistes tirent par ailleurs leur épingle du jeu. Le contexte économique conduit toutefois les différents acteurs du secteur à s'adapter et à faire preuve d'innovation.

Le jouet traverse les crises, et les années qui viennent de s'écouler l'ont encore bien prouvé. Gilets Jaunes, crise sanitaire et désormais contexte inflationniste… ces derniers mois n'ont pas été un long fleuve tranquille pour les acteurs du secteur. Pour autant, malgré des périodes chahutées, le marché a su se maintenir. Selon une étude de The NPD Group, réalisée en partenariat avec la Fédération françaises des industries jouet-puériculture (FJP) et la Fédération des Commerces spécialistes des jouets et des produits de l'enfant (FCJPE), le secteur a enregistré une année record en 2021. Les chiffres publiés en octobre dernier, montrent que les ventes ont dépassé les 3,8 milliards d'euros, faisant de la France le premier marché du jouet en Europe.

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40 % du CA à réaliser

Un engouement qui semble se maintenir pour l'année 2022. The NPD Group souligne ainsi, qu'à la mi-septembre, l'activité est en léger recul de 0,8 % par rapport à 2021 mais reste en croissance de 5 % comparé à 2019, dernière année de référence avant Covid-19. "L'année 2022 n'est pas terminée, prévient d'emblée Philippe Gueydon, président de FCJPE et directeur général du groupe King Jouet avant d'ajouter :

Il nous reste près de 40 % du chiffre d'affaires à réaliser. On sait que les dernières semaines avant Noël sont déterminantes.

D'autant plus que cette année, le calendrier ne booste pas le marché. En effet, le jour le Noël étant un dimanche, les Français retardent légèrement leurs achats. "On a vu un petit décalage de fréquentation, dû au calendrier mais aussi au contexte économique et aux questions concernant le pouvoir d'achat, confie Franck Mathais, porte-parole des magasins JouéClub. Les consommateurs s'y prennent naturellement un peu plus tard." Même constat pour Cédric Drouet, directeur général de l'enseigne Jouets Sajou : "Il y a un petit retard à l'allumage. On est sur une tendance à la baisse pour le mois de novembre (-15 %), mais on n'est pas inquiet, insiste-t-il avant de préciser :

On le voit, depuis 5 ans, les achats se font de plus en plus tard. Avec des événements comme le Black Friday, les consommateurs retardent leurs achats. On s'attend à rattraper ce décalage sur les trois dernières semaines de décembre.

Jouets Sajou : "Nous visons les 100 magasins d'ici fin 2025"

Dans un contexte concurrentiel, le réseau Jouets Sajou a su se différencier, notamment par sa stratégie de développement. "Nous visons les villes moyennes. Notre modèle est vraiment axé sur la proximité et la pandémie a clairement validé notre modèle", souligne Cédric Drouet, directeur général du réseau. À date, Jouets Sajou affiche un maillage territorial de 60 magasins de 50 à 250 mètres carrés. "Il y a eu un vrai retour à la proximité et nos points de vente ont répondu présent durant la crise sanitaire", insiste le directeur général avant d'ajouter : "Notre objectif est de rester sur un rythme d'ouvertures d'une dizaine de nouveaux points de vente chaque année. À terme, nous visons les 100 magasins d'ici fin 2025."

 

Vers un avenir plus serein ?

Globalement, les interlocuteurs que nous avons interrogés restent optimistes pour les prochains mois. Premier fait rassurant : les prix des containers qui inquiétaient l'ensemble des acteurs en 2021 commencent à se stabiliser. "On reste sur des tarifs plus élevés qu'avant la Covid-19 mais cela a largement baissé. L'année dernière, nous devions composer avec un prix qui était multiplié par 10, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui, analyse Franck Mathais. Et ce dernier précise :

À date, il n'y a pas de grands motifs d'inquiétude. Nous sommes est plutôt confiants, malgré l'inflation qui ne concerne pas uniquement notre marché.

De son côté, Philippe Gueydon est un peu plus prudent. "Cela serait mentir de dire que l'on est serein. En revanche, nous ne sommes pas très inquiets non plus. On sait que Noël reste un moment de plaisir et de partage, donc les consommateurs seront présents, explique-t-il avant de préciser : Il y a un risque de ralentissement de la consommation à partir de janvier. Le début d'année sera donc plus tendu mais le secteur fera face en limitant les stocks et en jouant sur les plages horaires des magasins." Et l'avenir des acteurs spécialistes semblent d'autant plus serein que les consommateurs ne rechignent pas à se rendre dans leurs points de vente. Selon The NPD Group, à magasins constants, les ventes en boutiques spécialisées ont progressé de 9 % en 2021 et de 5 % depuis le début de l'année.

JouéClub : "Le déploiement du nouveau concept se fait au fur et à mesure"

L'année n'a pas été de tout repos pour JouéClub. L'enseigne a dû faire face à la fermeture de son flagship, le Village JouéClub, situé boulevard des Italiens à Paris, faute d'accord avec son bailleur. "C'est toujours dramatique de fermer un magasin. C'était une vraie vitrine pour le marché du jouet et il n'y a plus d'équivalent aujourd'hui dans la Capitale", estime Franck Mathais, porte-parole de l'enseigne. L'année 2022 fut aussi celle du renouveau pour JouéClub. Le réseau a en effet commencé la rénovation de son parc avec un nouveau modèle de magasin, davantage dans l'air du temps. "Une dizaine d'ouvertures ont été faites sous ce nouveau concept. Des magasins existants ont également effectué le remodeling. Le déploiement se fait au fur et à mesure", insiste Franck Mathais. L'enseigne, qui investit sur le marché de la seconde main, a également à cœur de renforcer sa politique RSE. Cette année encore, JouéClub propose aux clients de rapporter leurs catalogues afin de les recycler. "Nous en faisons des masques pour le carnaval, c'est une innovation écoresponsable sur laquelle nous allons davantage communiquer", conclut Franck Mathais.

Composer avec l'inflation

Malgré ces bonnes perspectives, des inconnues persistent. On l'a déjà évoqué, mais les hausses tarifaires, notamment sur l'énergie risquent d'impacter l'ensemble des acteurs du commerce et donc ceux du marché du jouet. Si le gouvernement prend des décisions, cela ne concernent uniquement les TPE et les PME, déplore Philippe Gueydon. "Le gouvernement fait plein de choses formidables, c'est indéniable, tant sur les loyers que sur la limitation des prix de l'énergie. Mais cela ne s'adresse qu'aux petites entreprises", lance le directeur général de King Jouet. Ce dernier l'assure, le coût de l'énergie a explosé pour ses 240 magasins tenus en propre et la facture a doublé par rapport à l'année dernière, atteignant ainsi 4 millions d'euros en 2022. "Le montant grimpera à 8 millions d'euros en 2023. Pour un groupe comme le nôtre, c'est une charge très importante mais nous n'avons pas le droit aux aides, déplore Philippe Gueydon.

Au final, cela impactera les consommateurs. Car des hausses de prix, même limitées, sont nécessaires. C'est clairement un déséquilibre de la concurrence et nous attendons que les aides soient élargies.

Pour Jouets Sajou, l'inflation a également un impact sur les prix finaux, avec une hausse située entre 5 % et 7 % sur certains produits. "Avec le jouet, on est sur des paniers moyens assez faibles, minimisant donc l'impact de l'inflation. En revanche, sur certaines gammes, on est en train de franchir certains seuils psychologiques. Cela nous conduit à être réellement vigilant et à négocier encore plus avec les fournisseurs, détaille Cédric Drouet. Car l'argument de l'inflation pour justifier les augmentations de prix est un peu facile et pas toujours compréhensible par les clients."

King Jouet : "Nous renforçons notre développement en franchise"

Avec 320 magasins, dont 240 succursales, King Jouet souhaite accueillir davantage de franchisés dans son réseau. "Nous avons une grille de développement limitée depuis deux ou trois ans, du fait du contexte sanitaire et économique, insiste Philippe Gueydon, directeur général de King Jouet. Mais nous renforçons notre développement en franchise. En 2022, sur les 7 ouvertures que nous avons menées, 4 l'ont été par des franchisés." Le réseau vise historiquement des emplacements en périphérie mais est présent de plus en plus en centre-ville. D'ailleurs, tout juste avant la Covid-19, King Jouet avait inauguré ses deux premiers magasins parisiens. "Les centres-villes ont plus souffert de cette crise sanitaire. Mais on voit que l'activité reprend petit à petit. À Paris, on note clairement un retour salvateur des touristes", souligne Philippe Gueydon. L'enseigne mise également sur son concept dédié à l'occasion qui compte aujourd'hui 6 magasins. "Notre intention est de développer ce réseau. Si tout se déroule bien, d'ici deux ou trois ans, 50 magasins King'Okaz devraient avoir vu le jour, soit via de nouvelles créations soit par la transformation de magasins existants", conclut Philippe Gueydon.

 

Les "kidultes", tendance pérenne ?

Cet avenir incertain n'entache pas pour autant les tendances, dont certaines se pérennisent. Si le marché du jouet résiste aux différents aléas économiques, c'est aussi grâce au phénomène "kidultes". Une dynamique qui se confirme et sur laquelle les enseignes entendent bien surfer. JouéClub a d'ailleurs dédié, depuis l'année dernière, un catalogue à cette clientèle spécifique. "C'est une tendance forte. Le segment kidultes représentait 20 % du marché du jouet, cette année cela grimpera à 28 %. Nous avons augmenté la pagination de notre catalogue car on sent que cette tendance se confirme, insiste Franck Mathais, avant d'ajouter :

On le voit, c'est un marché porté par une clientèle de fans qui s'oriente majoritairement vers les figurines, les puzzles ou les objets de décoration.

Même constat du côté de Jouets Sajou qui estime cette tendance pérenne. "D'un point de vue business, ce marché est important car les paniers moyens sont plus élevés. C'est une clientèle qui souhaite se faire plaisir et qui ne regarde pas à la dépense", insiste Cédric Drouet.

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Nouvelles habitudes

Autre tendance émergente : celle de la seconde main. La demande des clients est bien présente et les acteurs ont bien compris qu'il ne fallait pas rater le coche. King Jouet a d'ailleurs pensé un concept baptisé King'Okaz, dont le premier point de vente a ouvert en mai à Valence. À date, 7 magasins affichent cette nouvelle enseigne. "20 % des quantités vendues sur le premier magasin sont des jouets d'occasion. Notre ambition est de monter à 30 % et nous sommes persuadés que l'attrait se pérennisera à long terme. Mais il y aura sans doute un discours à affiner auprès des consommateurs", insiste Philippe Gueydon. JouéClub a également effectué, ces derniers mois, plusieurs tests pour être visible sur le marché de l'occasion. Des initiatives qui vont finalement aboutir au déploiement des corners Troc O'Joué dans l'ensemble du réseau dès le premier trimestre 2023. Une stratégie nécessaire pour répondre avant tout aux besoins des consommateurs, selon Franck Mathais.

Ce n'est pas un enjeu de chiffre d'affaires car cela représente à peine 10 % de l'activité sur les magasins pilotes. Ce que l'on remarque, en revanche, c'est l'écho très positif auprès des clients, tant du côté des vendeurs que des acheteurs.

Jouets Sajou réfléchit aussi à une offre dédiée à la seconde main, mais veut prendre le temps de bien analyser le marché. "L'occasion reste un segment assez compliqué sur le jouet mais c'est un tournant qu'il ne faut rater. On a plusieurs choses à l'étude mais on ne se précipite pas", conclut Cédric Drouet.

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