Mode et équipement de la personne : quel avenir pour le secteur ?

Camille Boulate
Mode et équipement de la personne : quel avenir pour le secteur ?

Chahuté depuis une dizaine d'années, le marché de la mode et de l'équipement de la personne fait face à une érosion de son chiffre d'affaires. Une baisse qui s'est à nouveau accentuée en 2022 puisque le marché peine à retrouver son niveau d'avant crise sanitaire. Pour autant, des opportunités existent et des acteurs parviennent à convaincre. 

Le constat est le même depuis plus de 10 ans : le secteur de la mode et de l'équipement de la personne voit son activité baisser. Les crises successives (Gilets Jaunes, pandémie, inflation…) n'arrangent pas la situation et conduisent les acteurs du secteur à se réorganiser. Des enseignes emblématiques, de milieu de gamme, font les frais d'un marché de plus en plus éclaté et concurrencé par des acteurs low-cost. C'est le cas de Camaïeu dont la liquidation a été prononcée en fin d'année. Emmanuel De Courcel, fondateur et CEO de Retail Int., spécialisé dans la collecte de données de vente des enseignes, analyse :

Le segment du mass market est en grande souffrance, pris en étau entre les marques low-cost et premium.

Certaines marques, plus accessibles en termes de prix, parviennent à défier la crise. Kiabi, qui vient de dévoiler ses résultats, affiche ainsi une croissance de son chiffre d'affaires en 2022. "Aujourd'hui, la mode se bipolarise. Des marques comme Kiabi et Primark ont une offre premier prix bien représentée qui répondent bien aux attentes de bon rapport qualité/prix des clients", Antoine Leroy, directeur général délégué de l'enseigne Mise au green.

Dans son bilan annuel, l'Alliance du Commerce, fédération regroupant les enseignes de l'habillement et de la chaussure, s'appuie sur les analyses de Retail Int. pour dresser le bilan du secteur. Résultat : en 2022, l'activité chute de 7 % en valeur et 4 % en magasin à périmètre constant par rapport à 2019. Si les ventes e-commerce, quant à elles, se sont stabilisées depuis un an, elles augmentent de 80 % par rapport à l'avant-crise. Yohann Petiot, directeur général de l'Alliance du Commerce souligne ainsi :

Le marché de l'habillement a beaucoup souffert pendant la crise sanitaire et faisait face des chutes de chiffre d'affaires importantes.

Et ce dernier ajoute : "En 2022, nous revenons sur des tendances de diminution plus classique que nous connaissons depuis une quinzaine d'années."

Mise au green : "Nous commençons à ouvrir en dehors de notre zone historique"

Fondée à la fin des années 1980, l'enseigne Mise au green commence à étoffer son maillage territorial. Axée majoritairement sur de la mode masculine, le réseau propose également une gamme dédiée à la femme, représentant 30 % des ventes. L'enseigne, qui se qualifie comme une marque access premium, fait de la qualité sa priorité. "Nous produisons la moitié de nos gammes sur le continent européen. Le reste est conçu au Maghreb et en Inde, explique Antoine Leroy, directeur général délégué de l'enseigne. Nous veillons à maintenir les prix, malgré la situation inflationniste que nous connaissons." En 2022, Mise au green affiche un chiffre d'affaires de 45 millions d'euros. "Nos performances sont stables comparées à l'avant-Covid", souligne le directeur général délégué. L'enseigne mise sur sa distribution hybride pour continuer de séduire les clients. Présents chez des revendeurs multimarques et dans 48 Galerie Lafayette en France et au Luxembourg, Mise au green compte également accentuer son réseau de magasins. "Nous avons 80 points de vente, historiquement implantés dans la région Grand Est. Nous avons à date une vingtaine d'affiliés et d'autres ouvertures sont à venir, insiste Antoine Leroy. Nous commençons à ouvrir en dehors de notre zone historique. Nous avons par exemple un magasin qui va ouvrir à Clermont-Ferrand et un second point de vente va voir le jour à Lille." Et si l'enseigne ne communique pas sur ses ambitions à long terme, c'est parce qu'elle veut prendre son temps. "On analyse et quand on voit qu'il y a des opportunités, on y va. On s'étend peut être moins vite que d'autres, mais nous sommes dans un logique de rendre notre réseau pérenne", conclut Antoine Leroy.

 

Un parc de magasins en baisse

Par rapport à 2019, dernière année de référence complète, la fréquentation en magasin a chuté de 17 %. Une baisse de flux qui a pour autant été compensée par une transformation des achats plus élevée (+5 %) et donc une hausse du panier moyen (+11 %). De bons indicateurs pour les enseignes, qui doivent cependant composer avec de nouvelles habitudes de consommation. "La crise de la Covid-19 a eu un très gros impact sur la façon de consommer. On est clairement passé d'un mode d'achat impulsif à un mode d'achat plus planifié, analyse Emmanuel De Courcel. Et ce dernier ajoute :

Le shopping était, avant la pandémie, un moment très attendu pour les consommateurs avec un fort taux d'achats d'impulsion.

Parmi les segments de marché les plus résilients, les enseignes dédiées à la mode masculine s'en sortent mieux. "C'est le segment qui fonctionne le mieux, assure Emmanuel De Courcel. À l'inverse, la chaussure hors sneakers, est en difficulté."

1083 : "Redévelopper une filière, cela prend du temps"

Après avoir lancé un magasin dédié à la mode éthique, Thomas Huriez crée sa propre marque de jeans en 2012. Dès le départ, l'entrepreneur souhaite que sa marque, baptisé 1083, soit la plus responsable possible. "Le nom de le marque n'est autre que la distance des deux villes les plus éloignées de l'Hexagone", insiste Thomas Huriez. Après avoir conquis les consommateurs, il décide d'étendre sa notoriété en créant un réseau de magasins. Aujourd'hui, l'enseigne 1083 compte 5 boutiques, dont 4 en cours de rénovation. "Nous harmonisons l'ensemble du réseau. C'est l'objectif de 2023. Nous verrons ensuite comment cela fonctionne et nous étudierons probablement un déploiement via des partenaires", souligne Thomas Huriez. Le défi de la marque est de développer sa capacité de production pour ses jeans produits à 100 % sur le territoire français. "Nous avons notre propre atelier de tissage dans les Vosges et nous travaillons également avec des sous-traitants. Même chose pour les ateliers de confection : nous avons nos propres usines et plusieurs partenaires, insiste le fondateur. Quand vous redéveloppez une filière comme nous le faisons, cela prend du temps et c'est un enjeu à long terme." Selon Thomas Huriez, le potentiel pour 1083 semble sans limites : "Le marché du jean en France c'est 88 millions d'unités vendues. Nous en avons vendu 50 000 en 2022, ce qui est déjà énorme puisque cela représente la moitié des ventes de jeans fabriqués en France. La progression est donc encore énorme", conclut-il.

 

Les partenaires indépendants, valeur sûre pour se développer

Autre principal constat : si l'activité est en baisse c'est aussi en partie dû aux fermetures de magasins. Ainsi, en trois ans, le nombre de magasin a chuté de 11 %. Parallèlement, les enseignes ont réduit leur nombre d'ouvertures de 30 % par rapport à 2019.  Surtout, les enseignes ouvrent moins en propre et privilégieraient davantage les partenaires indépendants pour étoffer leur parc. "Il y a 20 ans, les marques ouvraient entre 8 et 10 boutiques en propre chaque année. Aujourd'hui c'est tout juste une ou deux, constate Emmanuel De Courcel, avant de souligner :

36 % des ouvertures se font désormais via des affiliés ou des franchisés. Les enseignes ont plus le Capex pour investir et préfèrent se reposer sur des indépendants.

Et les réseaux ont bien compris l'importance de l'affiliation dans leur développement. Comme la marque Mise au green, implantée majoritairement dans le Grand-Est. À date, le réseau compte 80 points de ventes dont une vingtaine d'affiliés. "Nous avons un développement hybride, en succursales et en affiliation. Ce sera pour nous l'un des moyens d'étendre notre maillage, notamment en dehors de notre région d'origine", souligne Antoine Leroy, directeur général délégué de la marque. Même constat pour Faguo. Sur un parc d'une quarantaine de magasins, l'enseigne, dont le Groupe Eram est actionnaire, compte une dizaine de points de vente tenus par des affiliés. "Notre objectif est d'avoir, à terme, 50 % du parc tenu par des partenaires indépendants", précise Frédéric Mugnier, co-fondateur de Faguo.

Lire aussi : 
Entreprendre en temps de crise : faut-il vraiment se lancer ?

Nouvelles tendances, nouveau business model ?

Le secteur doit aussi faire face à l'arrivée de nouvelles tendances et donc s'adapter. Yohann Petiot précise ainsi :

Il y une vraie nécessité d'accélérer les investissements sur le digital et sur les questions environnementales en adaptant les business model.

La seconde main reste, notamment, un modèle de plus en plus prisé par les consommateurs et proposé par les enseignes. "Le rapport à la mode est en train d'évoluer, admet Antoine Leroy. Il y a moins ce besoin de posséder et surtout les consommateurs veulent le faire de manière durable. Hier on achetait un produit, désormais on le loue ou on l'achète d'occasion." Pour autant, l'enseigne Mise au green explique que proposer des produits de seconde main n'est pas une priorité dans les 18 prochains mois. "On voit que nos gammes sont parfois revendues sur des marketplace dédiée à l'occasion. Mais on est encore une PME familiale, et c'est compliqué pour nous d'investir ce marché, souligne Antoine Leroy, avant d'ajouter :

En revanche, nous travaillons encore et toujours la qualité de nos produits pour répondre aux besoins de durabilité et de confort de nos clients.

La transparence reste aussi un élément important pour les consommateurs. Et selon Thomas Huriez, fondateur de la marque de jean 1083, les marques n'auront pas d'autres choix que de s'adapter. "Il n'y aura pas d'autre alternative : tous les acteurs devront montrer qu'ils bougent sur ces questions environnementales et d'approvisionnement."

Faguo : "Nous visons les 70 boutiques sur le territoire français"

Spécialisée dans la mode masculine, la marque Faguo a vu le jour en 2008. Misant sur une distribution digitale mais aussi via des distributeurs revendeurs, la marque a développé un réseau de magasins dès 2015. "Notre gamme s'est élargie et ne comprenait pas uniquement des chaussures. Désormais, nous avons une gamme complète sur le dressing masculin", détaille Frédéric Mugnier, co-fondateur de l'enseigne. Aujourd'hui, l'enseigne compte une quarantaine de points de vente, dont une dizaine de corners dans les grands magasins et 20 points de vente en propre. "Nous avons 10 boutiques tenues en affiliation", précise Frédéric Mugnier. À terme, l'enseigne souhaite s'exporter mais entend d'abord accentuer son maillage en France, principalement sur des emplacements de centre-ville. "Nous visons les 70 boutiques sur le territoire français. Après, nous souhaitons amorcer un développement à l'international, d'abord en succursale puis en sûrement en affiliation ou en master-franchise. Via notre réseau de distributeurs multimarques, 40 % de notre activité est réalisée à l'international", détaille le co-fondateur. En 2022, Faguo a réalisé 21 millions d'euros de chiffre d'affaires et compte bien continuer à développer son activité. "Nous visons les 28 millions d'euros cette année", conclut Frédéric Mugnier.

 

Des enjeux pour 2023

Outre ces questions environnementales et les nouvelles tendances qui s'affirment, les acteurs du secteur de l'habillement devront, une nouvelle fois, naviguer à vue en 2023. Parmi les principaux enjeux, les sujets de l'inflation et de la hausse des coûts de l'énergie sont sur toutes les lèvres. "Quand on parle avec les enseignes, on sent que les prochains mois vont être incertains. L'activité reste fragile, concède Yohann Petiot, avant d'insister :

Tous les coûts d'exploitation augmentent fortement. À cela s'ajoute un climat social très incertain lié aux diverses réformes à venir.

Si, contrairement à d'autres biens de consommation, le secteur de l'équipement de la personne est parvenu à contenir la hausse des prix en 2022 (+2,6 % pour les vêtements et +2,9 % pour les chaussures), cela risque d'être plus compliqué cette année. D'autant plus que les soldes, qui ont débuté il y a deux semaines, affichent un mauvais démarrage. "Cela peut s'expliquer par le fait que mois de décembre était plutôt bon pour le marché. Il y a sûrement l'effet météo qui n'incite pas à consommer. On sait que la situation peut se retourner en quelques semaines mais les forts mouvements sociaux nous indiquent qu'il n'y aura pas forcément de redémarrage avant la fin de cette période de promotions", conclut Yohann Petiot. Entrepreneurs, vous l'aurez compris, des opportunités existent encore sur ce marché, même si de nombreux défis vous attendent !

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